Cette rencontre avec Heiner Müller, en plein coeur du Festival Montpellier danse, en juillet 1990, n’a rien d’un tête à tête : elle se déroule devant 400 personnes, avec écouteurs et traduction simultanée, au Corum, dans une salle de conférences. J’animais cet été-là, à la demande de Jean-Paul Montanari, les débats publics avec les chorégraphes, le lendemain de leur première. Et c’était le philosophe Christian Delacampagne, qui enseignait à l’Université de Montpellier, qui devait assurer l’animation de cette rencontre avec H. Müller, sur le thème générique du Festival : « Le corps de l’autre ». Mais deux jours avant, Delacampagne annonce qu’il doit partir à l’étranger, déplacement urgent et imprévu… On fait alors appel à moi. Mais je n’avais rien eu le temps de préparer à ce sujet, et dans le tourbillon du festival, je suis un peu pris de panique, car je connais les recueils d’entretiens de Müller parus à l’Arche, la vivacité et la dureté de ses réponses quand il veut moucher son interlocuteur. Quand il arrive, Heiner Müller me salue et sans doute voit que je ne suis pas très rassuré, lui est de bonne humeur, poli et détendu, et il m’invite à prendre avec lui un whisky sur l’esplanade. La rencontre se passe bien, tout le monde semble satisfait mais je n’en retiens pas grand-chose : entre le souci de faire avancer la discussion en respectant le thème choisi, s’intégrer à la problématique d’un festival de danse, évoquer le bouleversement qu’a entrainé la chute du mur de Berlin quelques mois plus tôt, pour lui homme de l’Est, et la confusion mentale que crée l’écoute de la traduction au casque pour qui n’a pas cet entraînement… Satisfaction et soulagement. Je l’entends très disponible, concentré, dire des choses très fines, belles et puissantes, mais que je n’arrive pas à retenir, j’aimerais tellement une trace écrite de ce moment, que quelqu’un prenne les bandes magnétiques de cet échange et publie notre conversation…. Peine perdue, je ne connais personne qui soit capable de se charger de cela…
Pendant la rencontre publique Conversation à l’issue de la rencontre. Photos Marc Ginot
Vingt ans s’écoulent. La rencontre de Montpellier reste un lointain souvenir, peu racontable (on me prend pour un affabulateur), et je sais qu’il n’en reste aucune trace écrite. En 2009 je travaille au théâtre de Gap, quand Jean Jourdheuil m’appelle, me disant qu’il souhaiterait publier un extrait de cet entretien, à l’occasion de sa mise en scène de Philoctète . Stupéfaction et incrédulité de ma part : il a trouvé une transcription allemande de cette rencontre de Montpellier et se propose de la traduire pour le programme du Théâtre de la Ville. Donc, vingt ans après cette rencontre,je peux enfin lire quelques fragments des propos d’Heiner Müller à Montpellier, dans le Journal du Théâtre de la Ville. Extrait que voici. (cliquer sur l’image pour l’agrandir)